Georges ROUSSE, l’exposition du Cellier à Reims
De la réalité à l’illusion
Georges ROUSSE est un artiste fédérateur. Fédérateur d’énergie, de rencontre, de travail, de plaisir, d’équipe, de génération. Sa venue dans un lieu, une ville, agrège un ensemble de personnes diverses ayant toutes une volonté de rendre possible la création d’une œuvre. Moments magiques pour tous, du menuisier au comptable, du bénévole à l’employé des collectivités locales, chacun apporte sa petite pierre à l’édifice et au final peut dire : « j’y étais »
Georges ROUSSE est né le 28 juillet 1947. Etudiant, il s’intéresse à la photographie de paysage et d’architecture. Proche du mouvement de la figuration libre, il commence par peindre des figures humaines sur les murs de lieux abandonnés qu’il photographie ensuite pour en garder la mémoire.
Au début des années1980, l’artiste quitte la figuration et investit friches industrielles et lieux en rénovation pour y produire une œuvre photographique dans laquelle se répète le principe de l’anamorphose, technique de trompe l’œil qui permet de recréer une image à partir d’un point de vue privilégié.
Chaque action s’inscrit dans un protocole précis et identique pour chaque oeuvre: un lieu abandonné, une transformation de ce lieu par la création en peinture de l’anamorphose, une photographie qui est l’œuvre finale.
Les lieux choisis sont la plupart du temps des endroits désaffectés, voués à la destruction, usines ou espaces jadis très investis par des fonctions industrielles ou commerciales. Ils peuvent être aussi des lieux destinés à être réhabilités comme ses interventions dans les halles du Boulingrin ou dans les celliers Jacquart de Reims.
Le choix de ces lieux n’est pas anodin dans l’œuvre de l’artiste qui balance du passé au présent, de la fonction disparue à l’énergie retrouvée grâce à l’œuvre d’art.
De la même façon, cette intervention contemporaine nous renvoie au « genius loci », l’esprit protecteur d’un lieu dans la religion de la Rome antique. La mémoire trouve donc ainsi toute sa place dans ses œuvres, à l’image du bunker rouge qu’il a créé en 2014 dans la base sous -marine de Bordeaux.
Les formes révélées par l’anamorphose, le plus souvent géométriques, nous font penser à certaines oeuvres comme « carré noir sur fond blanc » de Malevitch dont Georges ROUSSE dit avoir été très influencé. On peut également ressentir une filiation avec d’autres artistes contemporains comme Bertrand Lavier, qui recouvre des objets communs d’épaisses couches de peinture, changeant le statut de cet objet comme Georges ROUSSE modifie lui même par la peinture le lieu dans lequel il travaille.
Si l’apparence ludique de ces œuvres peut paraître un jeu d’enfant, cette possibilité de retrouver l’enfance par l’art est peut être la recherche même de tout artiste. Malgré la répétition du procédé d’œuvre en oeuvre, il réitère à chaque création cette idée de « la première fois », du miracle répété par cette énigme visuelle.
Georges ROUSSE réalise ses photographies en adoptant une démarche interdisciplinaire et en se déplaçant entre les médiums traditionnels. Il est à la fois concepteur, peintre, plasticien, artisan, sculpteur, architecte et photographe. Il réalise d’abord des dessins préparatoires, puis devient maître d’œuvre et chef d’équipe d’un projet avec un seul but : trouver les meilleurs solutions techniques à la réalisation d’une installation qui repose sur un jeu visuel. Une fois les volumes construits, il n’est qu’au milieu du parcours vers la réalisation de son œuvre. Pour aller plus loin que ce simple jeu, il transforme cette réalité en la photographiant.
Il est essentiel de comprendre que Georges ROUSSE fait OEUVRE par ce passage de la réalité en trois dimensions à l’illusion en deux dimensions. Le rapport de la photographie au réel s’en trouve ainsi bousculé.
La photographie était censée représenter le monde, l’artiste le déforme en lui retirant le volume, provoquant une illusion optique et un bonheur ludique pour les regardeurs.
« N’est ce pas le projet de l’artiste que de montrer le réel de façon imprévue ? » nous dit il. Au delà de l’expérience méditative, chaque œuvre de l’artiste nous amène à douter de notre perception visuelle et nous questionne sur notre capacité à nous perdre dans ses images, de la réalité à l’illusion.
Alain Collard
Association La salle d’attente
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